IMMOBILIER : « NOS CHERS VOISINS » actualité de la notion de trouble du voisinage.
- Maître Fanny LE BUZULIER
- 18 mars 2015
- 4 min de lecture
La vie urbaine implique l’acceptation de son voisinage et des « nuisances » qui en découlent…
C’est la logique actuellement suivie par les juridictions qui semblent être de plus en plus sévères dans le traitement des affaires de « troubles anormaux de voisinage », refusant de caractériser à la légère ledit trouble.
Que le trouble soit visuel, olfactif ou sonore, il se dégage une tendance générale depuis quelques années, au refus de sanction des troubles occasionnés par le Fait du Voisin, du fait l’absence de caractère anormal du trouble.
Le florilège des jurisprudences sous-évoquées témoignent de cette tendance et de ses nuances.
En effet les juridictions, lorsqu’elles consentent à reconnaitre l’existence du trouble, respectent le principe de réparation intégrale du préjudice. Allant au-delà de la sanction du trouble de jouissance d’ores et déjà subi, elles s’attèlent à ordonner des mesures pour mettre fin au trouble pour l’avenir.
La Perte de vue et d’ensoleillement
# Témoignant d’une sévérité certaine, la Cour d’appel de GRENOBLE a considéré, dans un Arrêt du 10 juin 2014 que la construction d’un bâtiment à usage de bureaux, au lieu et place d’une vue sur des champs cultivés, située en zone urbaine de développement, n’excédait pas les inconvénients normaux du voisinage.
En l’espèce, des particuliers avaient fait construire une maison d’habitation en zone urbaine en développement donnant sur des champs cultivés. Quelques temps plus tard, un bâtiment de deux étages et à usage de bureaux, a été édifié à trois mètres de la limite séparative de leur terrain.
Ces particuliers ont tenté d’obtenir une compensation pour leur perte d’ensoleillement. Bien que le TGI leur ait donné gain de cause, la cour d’appel a considéré que la perte de vue campagnarde, dès lors que leur propriété était située en zone urbaine en développement et plus précisément, en zone artisanale, ne constituait pas un trouble anormal du voisinage (CA Grenoble. 10 juin 2014, jurisdata 2014-014478).
# La cour d’appel de Bordeaux a statué dans la même logique, en considérant que ne constituait pas un trouble anormal du voisinage, la perte d’un avantage tenant au fait qu’une maison bénéficiait auparavant d’une vue exceptionnelle sur le parc d’une Fondation, sur lequel a été édifié un nouveau bâtiment à usage de maison de retraite (CA Bordeaux, 1ère ch. Civ. Sect. B 28 janv. 2010, jurisdata 2010-00255).
# La cour d’appel de Versailles a elle-même, considéré, par une décision du 20 février 2014, que la perte de vue d’un propriétaire d’une maison individuelle, atténuée par l’aménagement paysagé, végétal extérieur du maitre d’ouvrage voisin, ne constituait pas un trouble anormal du voisinage (CA Versailles 1ère ch. 20 fev. 2014, jurisdata 2014-004839).
Les nuisances sonores
Le trouble anormal de voisinage peut aussi découler de nuisance sonore.
Ce fut le cas notamment dans une espèce dans laquelle des particuliers ont vu l’implantation, à une centaine de mètres de leur propriété, d’un ensemble de silos destinés à stocker du soja.
Cette implantation s’est révélée être à l’origine de nuisances sonores importantes. Une expertise judiciaire a été ordonnée et les nuisances ont bien caractérisées par l’expert.
Plusieurs fondements avaient été développés pour obtenir réparation :
La perte de valeur vénale de la maison
Une demande de mise aux normes des silos via la réalisation de travaux importants
La réparation du trouble de jouissance
En l’espèce, le caractère anormal du voisinage a clairement été retenu. La spécificité de l’Arrêt est d’avoir retenu que le trouble de jouissance découle de ce que la maison voisine était une maison d’habitation ; c’est donc un pourcentage « d’in-habitabilité » du bien qui a été retenu (20 %).
Mais surtout, la cour d’appel n’a pas retenue la perte de valeur vénale de la maison (120.000 €) retenue par les Juges de première instance, elle a sanctionné le voisin gênant via une condamnation sous astreinte de mise aux normes des silos (moyennant un mode réparatoire chiffré à 530.000 € par expert), mettant ainsi fin au trouble pour l’avenir, via le prononcé d’une injonction de faire.
Il en découle une réparation en nature du trouble et donc un rejet de la demande de compensation de la perte de valeur vénale du bien puisque l’objectif de la sanction était la suppression même du trouble (CA Toulouse 1er ch. Sect.1, 9 dec. 2013, jurisdata 2013-029016).
Le préjudice esthétique
# Le contentieux en matière de trouble du voisinage découlant de l’installation d’une grue sur le fond voisin trouve souvent son origine dans la chute de la grue.
Pour autant, une certaine jurisprudence a du statuer, non pas sur le préjudice matériel de la chute et ses conséquences, mais sur la seule présence de ladite grue sur le fonds voisin. Une telle présence permettait-elle de caractériser l’anormalité du trouble du voisinage ?
# Dans le cas d’espèce, un propriétaire a obtenu un permis en mai 2006 pour effectuer des travaux sur sa parcelle de St Jean Cap Ferrat. Pour ce faire, il a fait installer une grue en contrebas de la terrasse et de la piscine de la Villa voisine appartenant à une société commerciale dont l’objet était de louer ladite villa luxueuse.
Courant mars 2008, un arrêté de la Commune a ordonné l’arrêt immédiat des travaux mais la grue est restée en place jusqu’en juin 2011.
La cour d’appel, après avoir rappelé que la présence même d’une grue de chantier sur le fonds voisin ne constituait pas en soi un trouble anormal, dès lors que le chantier est maitrisé et mené à bonne fin dans un délai raisonnable, a pu considérer que la présence de la grue devenait anormale dès lors qu’elle était restée, sans raison valable, positionnée sur le fonds voisin pendant 5 ans et notamment pendant les saisons estivales, période lucrative pour les locations (CA Aix en Provence – 4èem ch. Sect. A 31 oct. 2013, jurisdata 203-025600).
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